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VOLTAIRE
Si, dans une œuvre très diversifiée, Voltaire a préféré sa production épique et tragique, ce sont cependant ses contes et ses lettres qui se sont imposés, tandis que le philosophe apparaît comme le porte-parole des Lumières.
L’esprit frondeur
Né en 1694, fils d’un notaire parisien, il fait ses études au collège de Clermont et débute dans les lettres par des vers irrévérencieux contre le Régent, qui le font jeter en Bastille (1717-18). Il y commence la tragédie d’ Œdipe (1718), puis la Henriade (1723-1728), poème épique sur la tolérance d’Henri IV. Bientôt riche et célèbre, il connaît un nouvel emprisonnement à la suite d’une altercation avec le chevalier de Rohan-Chabot et se voit contraint à l’exil en Angleterre (1726-1728), pays dont il admire le système politique et marchand. De retour en France, s’inspirant de Shakespeare, il compose Brutus (1730) et Zaïre (1732). À la gloire de l’Angleterre, il écrit les Lettres philosophiques (1734), qui deviennent le manifeste du siècle commençant des Lumières. Leur publication et celle d’un texte militant, Sur la mort de Mlle Lecouvreur, comédienne à qui l’Église refusait une sépulture, en 1734, le contraignent à se retirer à Cirey, à l’invitation de Mme du Châtelet. Voltaire y prolonge son travail théâtral ( la Mort de César, 1735 ; Mérope, 1743), poétique ( le Mondain, 1736) et philosophique ( Discours sur l’homme [1738], pièce philosophique inspirée de Pope). De nouveau bien en cour, il est nommé historiographe du roi, avant d’être accueilli, en 1746 à l’Académie française. Il fait paraître en 1748 son conte philosophiques Zadig ou la Destinée.
L’esprit libre
Déçu dans ses ambitions politiques, il quitte la cour de France pour celle de Lorraine, puis pour celle de Prusse. Frédéric II le prend pour chambellan de 1750 à 1753. Tout en corrigeant les vers de son hôte royal, il termine le Siècle de Louis XIV (1751), ouvrage historique sur une période qui le fascine, et publie un nouveau conte, Micromégas (1752). En conflit avec le souverain et avec l’Académie de Berlin, Voltaire s’établit près de Genève. Mais sa Pucelle (1755) choque les catholiques, son Essai sur les mœurs (1756) lui aliène la sympathie des calvinistes, et le Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), celle de Jean-Jacques Rousseau. Il achète une grande propriété à Ferney, où il reçoit l’élite européenne, dont il est devenu la « conscience ». Il compose une tragédie, Tancrède (1760), et multiplie les contes, dans lesquels il critique le conformisme de Leibniz ( Candide ou l’Optimisme, 1759), les parvenus ( Jeannot et Colin, 1764), les abus politiques ( l’Ingénu, 1767), la corruption et l’inégalité des richesses ( l’Homme aux quarante écus, 1768), les mœurs ( la Princesse de Babylone, 1768). Dans des pamphlets, il dénonce l’injustice et obtient les réhabilitations de Calas, de Sirven, mais non celle du chevalier de La Barre. Il publie encore le Traité sur la tolérance (1763) et le Dictionnaire philosophique (1764). Après vingt-sept ans d’exil, en 1778, il est reçu triomphalement à Paris par l’Académie et la Comédie-Française, qui donne sa tragédie Irène. Épuisé, il meurt le 30 mai.
ROUSSEAU
Chantre de la liberté individuelle et théoricien de l’État tout-puissant, ennemi personnel mais allié objectif des Lumières, Rousseau a préparé les grands changements de la Révolution. Il a rouvert les sources du lyrisme et préparé l’avènement du romantisme.
Une vie d’errance
Né en 1712 dans une famille protestante, orphelin de mère et abandonné à 10 ans par son père, Rousseau connaît des débuts difficiles : changements de situation, fugues, conversion au catholicisme, errances à pied. Revenu, après un séjour à Paris (1731), auprès de Mme de Warens qui l’avait déjà accueilli, il passe aux Charmettes les cinq années les plus agréables et les plus calmes de sa vie. Tombé en disgrâce en 1738, précepteur un temps à Lyon, chez M. de Mably, il se rend à Paris (1741) après avoir élaboré un système de notation musicale que l’Académie refuse, part pour Venise (1743), mais revient à Paris (1744), où il commence une longue liaison avec une servante, Thérèse Levasseur, qui lui donnera cinq enfants, tous déposés aux Enfants-Trouvés. Remarqué grâce à son opéra les Muses galantes (1745), il écrit, à la demande de son ami Diderot, des articles sur la musique pour l’ Encyclopédie.
La naissance du philosophe
Mais cette brève amitié dégénère vite en haine, à partir de la Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), lorsque Rousseau décide de mettre en accord sa marginalité, revendiquée, et sa vie. Découvrant une dissertation proposée par l’Académie de Dijon « Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les mœurs ? », il répond par un Discours sur les sciences et les arts (1750) où il jette les bases de sa philosophie : une critique de la corruption de l’homme en société. Il approfondit la polémique politique dans son deuxième Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755). Dans l’ermitage de Montmorency, chez Mme d’Épinay, il imagine les solutions à ces conflits : Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761) propose, sous forme romanesque, de sublimer la passion humaine en passion pour la vertu. Du contrat social (1762) examine, dans la sphère publique cette fois-ci, les conditions de possibilité d’un accord entre les volontés particulières et la volonté générale. L’ Émile (1762), en matière d’éducation, s’efforce de sauvegarder les droits de la nature dans la socialisation de l’enfant. La condamnation de l’ouvrage oblige son auteur à passer en Suisse (1763-1765), où il se défend notamment contre Voltaire ( Lettre sur la providence, 1764), puis en Angleterre (1766), d’où, s’étant brouillé avec le philosophe Hume, il repart pour la France en 1767.
MONTESQUIEU
Ecrivain français (château de La Brède, près de Bordeaux, 1689 – Paris 1755). Il est l’auteur des Lettres persanes (1721), des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) et de De l’esprit des lois (1748) dans lequel il montre les rapports qu’entretiennent les lois politiques avec la Constitution des États, les mœurs, la religion, le commerce, le climat et la nature des sols des pays. Ce dernier ouvrage inspira la Constitution de 1791 et fut à l’origine des doctrines constitutionnelles libérales, qui reposent sur la séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
CONDORCET
Mathématicien, philosophe, économiste et homme politique français (Ribemont 1743 – Bourg-la-Reine 1794). Il entra en 1769 à l’Académie des sciences. Il collabora à la rédaction de l’ Encyclopédie. Chef du « parti philosophique » en 1789, il fut député à l’Assemblée législative, puis à la Convention, où il présenta un plan d’organisation de l’instruction publique. Ami des Girondins, traqué par le gouvernement jacobin, il écrivit dans la clandestinité l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, éloge de la philosophie des Lumières ; arrêté, il s’empoisonna. Ses cendres ont été transférées au Panthéon en 1989.
FONTENELLE
Ecrivain français (Rouen 1657 – Paris 1757). Neveu de Corneille, il abandonna rapidement la carrière d’avocat et vint à Paris, où sa réputation de bel esprit ne tarda pas à s’établir. Soutenant la thèse du progrès dans les sciences et les arts, il se fit connaître par des ouvrages de vulgarisation scientifique et théologique ( Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686 ; Histoire des oracles, 1687). Favorable aux Modernes, il fut élu à l’Académie française en 1691 puis devint secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences (1699-1740).
ENCYCLOPEDIE
Comme les dictionnaires ,les encyclopédies prennent en compte noms propres et noms communs ; mais pour ces derniers, elles ne retiennent que les substantifs ou les locutions significatives, dont elles complètent la définition par des descriptions plus étendues, de nature historique, fonctionnelle, etc. Le classement des entrées est généralement alphabétique, mais il existe des encyclopédies, dites « thématiques » , ou « méthodiques » , dans lesquelles le savoir est découpé et présenté suivant un ordre logique, qui permet une consultation raisonnée reposant sur la répartition en secteurs du savoir général. La notion de « mot » ou « groupe de mots » désignant une (ou plusieurs) entités conceptuelles a disparu au profit de l’entrée du type « titre de chapitre » . L’ Encyclopédie de Diderot, parue d’abord sous forme alphabétique, a été exploitée par des « libraires » peu scrupuleux aux XVIIIe et XIXe siècles sous forme thématique.
Les grandes encyclopédies.
VIIe s. : Étymologies, d’Isidore de Séville. 1728 : Cyclopaedia, de E. Chambers (1 vol.). 1751-1772 : Encyclopédie, de D. Diderot (35 vol.). 1768-1771 : Encyclopaedia Britannica, de W. Smellie (3 vol.). 1885-1902 : Grande Encyclopédie, de M. Berthelot (31 vol.). 1935-1966 : Encyclopédie française, d’A. de Monzie (24 vol.). 1968-1975 : Encyclopaedia Universalis (20 vol.). 1971-1978 : Grande Encyclopédie (21 vol. ; Larousse).
DIDEROT
Connu de son vivant comme le maître d’œuvre de l’ Encyclopédie, Diderot exerça, après sa mort, une influence esthétique majeure sur les précurseurs du romantisme, telle Mme de Staël. C’est aujourd’hui son œuvre romanesque qui captive l’intérêt de la critique.
La vie : un roman bourgeois
Diderot naît à Langres en 1713 dans une famille qui appartient à la bourgeoisie aisée. Ayant reçu la tonsure, il est promis à une charge de chanoine. Mais il s’échappe du collège jésuite dans lequel son père l’avait placé et s’enfuit à Paris, où il mène une vie de bohème, à partir de 1735. Ce sont dix années d’insouciance (il épouse secrètement une jeune lingère, en 1743), de menus travaux d’écriture et d’études acharnées dans tous les domaines (philosophie, mathématiques, anatomie, etc.). Cette curiosité universelle, alliée à ses compétences de traducteur, le désigne pour animer l’ Encyclopédie, conçue initialement comme l’adaptation de la Cyclopaedia de Chambers. L’entreprise s’affranchit de son modèle britannique dès que le libraire Le Breton en confie la direction à Diderot, en 1745. Son incarcération à Vincennes -où il reçoit la célèbre visite de Rousseau, sur le point d’écrire son premier Discours -, en 1749, après la Lettre sur les aveugles, explique sa prudence ultérieure et la publication posthume d’une grande partie de son œuvre. Au milieu du chantier encyclopédique, Diderot fait la connaissance d’une jeune femme, Sophie Volland, qui devient sa maîtresse et sa confidente. Dès lors, il adresse à celle-ci des Lettres quotidiennes qui font vivre à son amie toutes les tribulations de son parcours moral et intellectuel. En 1765, Catherine II lui achète sa bibliothèque. À l’invitation de l’impératrice, il arrive en Russie en octobre 1773. Mais, prenant conscience des limites du despotisme éclairé, il renonce à son projet d’encyclopédie russe et rentre en France un an après. Jusqu’à la fin de ses jours, quelques mois après la mort de Sophie, en 1784, il mène une existence toujours studieuse mais enfin calme et confortable, grâce aux pensions que lui alloue l’impératrice.
Les dialogues du philosophe et de l’esthète
On ne peut définir sans la réduire une pensée qui éclate en une œuvre philosophique et esthétique jaillissante. Ce permanent libertinage de l’esprit (« Mes pensées, ce sont mes catins ») s’affirme comme un antisystème. Sa théorie politique est un antimonarchisme réformiste et sa première œuvre, publiée en 1746, les Pensées philosophiques, a l’ambition de constituer une réponse aux Pensées de Pascal. Dans le domaine religieux et philosophique, il passe du déisme au scepticisme, puis au matérialisme expérimental. Il s’efforce de concilier athéisme et vertu, fondant sa morale sur la satisfaction de deux grands « instincts naturels » : la poursuite du bonheur et la bienfaisance. Cette morale sous-tend son esthétique. L’art a pour mission première de « faire aimer la vertu et haïr le vice ». Diderot rend compte des Salons du Louvre tous les deux ans entre 1759 et 1781 et se passionne pour le pathétisme figé des tableaux de Greuze. Selon le Paradoxe sur le comédien (écrit en 1773), le talent de l’acteur passe par une réflexion lucide, une décomposition intellectuelle de son jeu. Plus heureux dans sa théorie que dans sa pratique théâtrale, prisonnière de la forme rigide du dialogue, il prône, dans les Entretiens et le Discours qui accompagnent la présentation du Fils naturel (1757) et du Père de famille (1758), le « drame bourgeois ». Dans le Neveu de Rameau (composé de 1762 à 1774), il confronte le philosophe (« Moi »), installé dans ses principes et dans une relative reconnaissance sociale, et « Lui », neveu du grand Rameau, génial raté, prêt à tous les compromis.
La liberté du romancier
Le problème moral, au centre de la thématique de Diderot, bien qu’écarté du roman libertin les Bijoux indiscrets (1748), réapparaît en 1771 dans l’Entretien d’un père avec ses enfants et dans le Supplément au voyage de Bougainville en 1773. La liberté ***uelle évoquée dans le Rêve de d’Alembert (1769) s’incarne ouvertement dans le Tahiti du Voyage en un dynamisme humain en accord avec le dynamisme universel. Attiré par les virtualités infinies du genre romanesque, Diderot en commence vers 1760 l’exploration méthodique, dans la Religieuse (publiée en 1796), grâce à la trame épistolaire. Jacques le Fataliste et son maître, inspiré du Tristram Shandy de Sterne, composé en 1771, fut de nombreuses fois remanié et finalement publié en 1796. Le voyage de Jacques et de son maître sert de cadre à une série de récits, démantelés en éventualités narratives qui, invoquées et congédiées sur-le-champ, obligent le lecteur à une complicité d’où naissent la critique sociale et la réflexion sur la condition d’écrivain. Il permet également des débats philosophiques dans lesquels Jacques prône un fatalisme rigoureux, tandis que son maître défend les droits traditionnels de la liberté humaine.
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